Pour la visite du pape François à Madagascar à partir de ce vendredi, une papamobile locale a été construite par la mythique marque Karenjy. Arrêtée en 1993, la fabrication de la petite voiture rustique au design atypique, a repris en 2009, sous l’impulsion de l’entreprise solidaire Le Relais.
Elle a un look reconnaissable entre mille. Capot plongeant, petits phares ronds, toit saharien… Un design disons atypique, mais que ses défenseurs vantent comme simple et pratique. « Chaque trait de son design a une fonction », insiste Henri Roussel, qui était ingénieur conception avant de devenir responsable commercial de Karenjy, la voiture malgache à l’emblème zébu.
La robuste voiture est sous les feux des projecteurs depuis quelques jours. Car, comme il y a trente ans avec Jean-Paul II, la marque a obtenu de fournir la papamobile (une Mazana II), qui va être utilisée par le pape François, en visite de trois jours, à partir de ce vendredi, à Madagascar.
Entre 1989 et aujourd’hui, l’histoire du véhicule n’a pas été toute lisse. La mythique petite bagnole naît sous la pointe des crayons des dessinateurs de l’Institut malgache d’innovation industrielle (Imi), en 1985. Au départ, sa construction est portée par le socialisme poussé à l’extrême du président Didier Ratsiraka, par sa volonté de nationalisation des entreprises. Le président veut « s’affranchir des importations, produire au maximum sur place », rappelle Henri Roussel. L’Imi crée des modèles de voitures, de bateaux, d’avion…
L’apogée de l’aventure automobile arrive en avril 1989, lorsque le pape Jean-Paul II, en visite officielle sur l’île, est transporté dans les rues de Fianarantsoa (sud-est), dans une papamobile Karenjy aux flancs immaculés (toujours utilisée par le diocèse de Fianarantsoa). C’est l’heure de gloire.
Mais en 1993, après une centaine de véhicules produits, tout s’arrête. Un nouveau régime, l’arrivée du président Zafy et une vague de libéralisation ont raison de la petite usine, qui, en bien d’État, est placée sous scellés juridiques. La Karenjy tombe quasiment dans l’oubli.
Nouveau départ, nouveau modèle
C’est par hasard que Luc Ronssin, Français à la tête de l’antenne malgache du Relais (la Scop, branche du mouvement Emmaüs, qui regroupe des entreprises à but socio-économique dédiées à la collecte, le réemploi et le recyclage du textile entre autres tout en employant des personnes en difficulté), tombe sur l’usine située à Ankofafalahy en 2009. La partie friperie des activités du Relais – qui compte au total, sur les différentes activités, 500 salariés aujourd’hui à Madagascar – marche bien, il cherche un lieu plus grand.
Quand il entre dans l’entrepôt, tout est là. « Les outils de production, des voitures à moitié terminées… » Même si le domaine automobile est à mille lieues des activités du Relais, il entrevoit le potentiel qu’il tient là.
La fabrication des anciens modèles, conçus dans les années 1980 est relancée, avec les stocks de pièces existants. « Très vite, pour pérenniser l’activité et comme le stock n’était pas éternel, un nouveau modèle est imaginé à partir de 2011 », raconte Henri Roussel. Ça sera la Mazana II, commercialisée à partir de 2017.
Aujourd’hui, avec 70 salariés (dont deux qui avaient déjà travaillé sur la papamobile de 1989 !), l’usine tourne à un rythme de 3 véhicules par mois, 36 par an. « L’objectif est d’arriver entre 50 et 60 voitures par an en 2020 », détaille le responsable commercial, arrivé dans l’aventure en 2011.
« Un achat engagé »
Qui achète une Karenjy aujourd’hui ? « C’est un acte engagé, note Henri Roussel. Un achat rationnel se tournerait vers une autre marque qui a plus d’ancienneté, d’expérience. Au début nos clients étaient surtout les grandes entreprises, parce qu’il y avait un partenariat d’image assez intéressant. Pour montrer à la fois leur engagement dans la promotion dans le vita malagasy (le fait local à Madagascar) et leur soutien à une entreprise à vocation sociale. Puis, des particuliers, des institutionnels comme les congrégations religieuses, l’État malgache. »
Le véhicule, équipé d’un moteur Peugeot, reste tout de même réservé à une certaine élite. Il coûte entre 18 et 23 000 €, selon les options. « Un peu plus cher qu’une voiture asiatique, mais le rapport qualité-prix est bon. Car l’intérieur et les accessoires sont 100 % européens, insiste Henri Roussel, bien rodé à énumérer les bons points de la petite auto. On aime bien dire que c’est un véhicule simple, robuste et économique à l’usage. »
Il explique : « Il n’y a pas de sur-équipement, un écran GPS par exemple, ça ne sert à rien à Madagascar. Les vitres électriques, c’est pareil. Est-ce qu’elles ont du sens ici ? On a pris le parti de faire un véhicule essentiel. Ça limite le risque de pannes. »
La Karenjy est adaptée aux contraintes de Madagascar, ajoute encore le responsable commercial. « Les routes sont très dégradées ici, alors le châssis a été renforcé, le véhicule est surélevé, plus léger, en fibre de verre parce qu’il y a beaucoup de problème de corrosion sur les côtes… » Et il est aussi économique. « Le modèle 4×4 consomme 7 L aux 100 km. »
Et sur ce style si particulier ? « On a choisi d’assumer l’héritage de la Mazana I. On ne fait pas un véhicule beau ou pas beau. Il y a beaucoup de petites astuces liées au design. Le capot qui plonge par exemple, ça n’est pas habituel, mais c’est très appréciable pour la conduite ; le toit saharien, cette sorte de casquette, ça permet d’avoir toujours de l’air qui circule, un peu comme une climatisation naturelle, certes un peu moins efficace… »
Finitions prestigieuses
Désormais, les véhicules ont plusieurs silhouettes – pick-up, berline, fourgon – et sont personnalisables. Jusqu’à 4 couleurs pour l’extérieur et l’intérieur, les finitions peuvent être en bois, cuir, moquette… « On part de la même base, mais on est capable de s’adapter à la moindre demande du client. »
Pour la visite du pape justement, le modèle Mazana II a été quelque peu modifié durant les six semaines de sa fabrication pour respecter les conditions imposées par le Vatican. La voiture est blanche, ornée de fanions et ses finitions sont un peu plus prestigieuses, avec du cuir et du bois. « Que le pape François utilise une papamobile fabriquée localement, c’est vraiment un symbole fort et un message d’espoir fort, se réjouit Henri Roussel, c’est une reconnaissance des qualités du savoir-faire des Malgaches. »
Source : OuestFrance